Les étés de mon enfance…

La saveur de mes étés, depuis ma naissance, c’est celle des champs. D’orge, d’escourgeon, de blé. Les céréales à moissonner. Les champs de betteraves aussi, à biner.

Mais surtout la moisson…

Quelle ironie du sort d’être aujourd’hui une naturopathe qui se méfie du gluten et fuit les pesticides ! Hein quand j’y pense…

Pour mes parents, l’été a toujours rimé avec travail acharné.

Les valises et les pieds dans le sable, les bouchons sur l’autoroute du soleil, ce n’était pas chez nous. Quand j’étais enfant, la seule brasse que je nageais, c’était dans la remorque de blé.

J’adorais ça, même si j’avais un peu peur des pince-oreilles… Ce que j’aimais surtout, c’était sauver les coccinelles.

C’est sûr que nous ne sommes jamais partis en vacances (ni en été ni en hiver d’ailleurs) mais pour rien au monde je n’aurais souhaité vivre un autre type de grandes vacances.

Parce que ce n’est pas donné à tout le monde de les passer sur une moissonneuse-batteuse (une belle verte avec un bambi comme logo), aux côtés de son papa.

Voilà deux ans que tu as pris ta retraite, Papa. Et si je suis heureuse que tu puisses enfin souffler, et ainsi partager avec toi des moments au goût nouveau, je dois dire qu’un mois de juillet sans te savoir à la moisson, ça fait bizarre.

Il manque quelque chose à l’été. Un peu comme une limonade qui aurait perdu ses bulles.

Heureusement, il reste les souvenirs…

♥ Faire le tour de tes parcelles et croquer les grains pour évaluer la maturité des variétés.

♥ T’escorter avec maman jusqu’au champ pour faire un essai.

♥ Apporter l’échantillon à la coopérative agricole pour vérifier le PS (le poids spécifique) et l’humidité.

♥ Fermer vite les carreaux de la camionnette pour éviter la douche de poussière quand tu tournes avec la moissonneuse au bout du champ.

♥ Se faire griffer les jambes par les éteules.

♥ Remplir le bon de livraison, écrire la variété du blé et le nom de ta parcelle… Comment ça s’écrit « Longuaines » ?!

♥ Te préparer ton sandwich et ta bouteille de menthe à l’eau auxquels tu touchais à peine.

♥ Aller avec toi livrer la remorque à la coopérative.

♥ Te voir rentrer à la maison à minuit tout gris de poussière. Oh le luxe quand tu t’es fait poser une cabine !

♥ Assister à tes crises de nerfs quand la machine tombait en panne.

♥ Vérifier la météo dix fois par jour. Et taper sur le baromètre jusqu’à le casser.

♥ Faire des prières quand l’orage ou la grêle venaient se déchaîner au-dessus de tes parcelles.

♥ Te regarder t’énerver quand, pendant la fête du village, tu ne pouvais pas passer avec la moissonneuse (tu te souviens l’année où vous avez déplacé une voiture à mains nues parce qu’elle te bloquait la route ?).

♥ Dire au revoir à la John Deere et bonjour à la New Holland.

♥ Il y a eu les étés durant lesquels tu avais des chauffeurs : Pépère, Tonton Daniel, Titi, Didier, Masson… Et les dernières années, où tu as tout assumé tout seul (avec quand même parfois un coup de main de « Peau de lapin »).

Malgré ce que l’on peut dire sur le blé et l’agriculture conventionnelle, la leçon que je retiens en t’ayant vu exercer ton métier, c’est le dévouement dont les agriculteurs font preuve pour leurs récoltes. Et te concernant, l’implication, la rigueur et le soin sans commune mesure que tu as mis dans ton ouvrage, pendant 45 ans. Sous le cagnard ou dans le blizzard, toujours courageux. Avec amour pour tes champs et tes récoltes.

On me taxe souvent d’être trop perfectionniste, trop exigeante, je crois que j’ai eu un sacré modèle en ta présence…

Des souvenirs, j’en oublie sûrement. Peut-être qu’ils reviendront plus tard et je les ajouterai à la liste. Pour les garder comme des précieux trésors et les chérir toute ma vie. Quand la John Deere ne sera plus qu’une fugace image dans mon esprit, je relirai ces lignes et retrouverai la saveur de nos étés…

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